Racontée par Luther lui-même dans son livre De la Messe privée et de l'onction des prêtres, repris dans le livre Luther et le diable.

Il m'arriva une fois de m'éveiller en sursaut vers le milieu de la nuit : Satan était là qui, sans tarder, ouvrit la discussion :

« Écoute, me dit-il, Luther, docteur savantissime. Tu sais que, durant quinze années, tu as célébré des Messes privées ; que dirais-tu si ces Messes privées étaient une horrible idolâtrie ? Que dirais-tu si le corps et le sang du Christ n'y avaient pas été présents, et que tu n'eusses adoré, fait adorer aux autres que du pain et du vin ? »

Je lui répondis : « J'ai été ordonné prêtre, j'ai reçu l'onction et la consécration des mains de l'Évêque, et j'ai fait tout cela par obéissance aux commandements de mes supérieurs. Pourquoi n'aurais-je pas consacré, puisque j'ai prononcé sérieusement les paroles du Christ, et que j'ai célébré ces Messes avec un grand sérieux ? Tu le sais bien. »

« Tout cela est vrai, me dit-il, mais les Turcs et les Païens, eux aussi, font toutes choses dans leurs temples par obéissance ; ils pratiquent très sérieusement leurs cérémonies. Les prêtres de Jéroboam faisaient aussi toutes choses avec un grand zèle et en toute conscience, contre les vrais prêtres de Jérusalem. Que dirais-tu si ton ordination et ta consécration étaient aussi fausses que les Prêtres des Turcs et des Samaritains sont faux, et leur culte faux et impie ? »

« Premièrement, tu dois savoir, continua-t-il, que tu n'avais alors ni connaissance du Christ, ni vraie foi, et qu'en ce qui regarde la foi, tu ne valais pas mieux qu'un Turc. Car le Turc, et même tous les Diables, croient ce qu'on raconte du Christ qu'il est né, qu'il a été crucifié, qu'il est mort, etc. Mais ni le Turc, ni nous autres, esprits réprouvés, nous n'avons de confiance en sa miséricorde, nous ne le reconnaissons pas pour notre Médiateur ou notre Sauveur ; au contraire, nous en avons horreur, comme d'un juge cruel.»

« Telle était ta foi, tu n'en avais point d'autre, quand tu reçus l'onction de l'Évêque, et tous ceux qui donnaient l'onction, comme ceux qui la recevaient, pensaient ainsi, et non autrement, de Jésus-Christ. C'est pourquoi, vous éloignant du Christ comme d'un juge cruel, vous aviez recours à la Vierge Marie et aux Saints: c'étaient vos Médiateurs entre le Christ et vous. Voilà comme on a ravi sa gloire à Jésus-Christ. C'est ce que ni toi, ni aucun autre Papiste ne pourra nier. Donc vous avez été oints, consacrés et tondus, et vous avez sacrifié à la Messe comme des Païens, et non comme des Chrétiens. Comment donc auriez-vous pu consacrer dans une pareille Messe, ou célébrer vraiment la Messe ? Il n'y avait là personne ayant pouvoir de consacrer, et n'est-ce pas, selon. votre propre doctrine, un vice essentiel ?»

« Secondement, tu as été ordonné Prêtre, et tu as abusé de la Messe contre son institution, contre la pensée et le dessein du Christ qui l'a, instituée. Car le Christ a voulu que le sacrement fût distribué entre les fidèles qui communient, et qu'il fût. donné à l'Église pour être mangé et pour être bu. Le vrai Prêtre, en effet, est établi. ministre de l'Église pour prêcher le Verbe et conférer les Sacrements, comme le portent les paroles du Christ en la Cène et celles de Saint Paul dans sa première aux Corinthiens, chap. II, où il est question de la Cène du Seigneur. De là est venu que les Anciens l'ont appelée Communion, parce que, suivant l'institution du Christ, ce n'est pas le Prêtre seul qui doit user du sacrement, mais tous les autres Chrétiens ses frères avec lui. Et toi, pendant quinze. longues années, tu as toujours, en disant la Messe, gardé le sacrement pour toi seul, tu n’en as rien communiqué aux autres. Bien plus, il t’était interdit de le leur donner tout entier. Quel sacerdoce est-ce donc là ? Quelle Messe et quelle consécration ? Quelle sorte de Prêtre es-tu, qui n’as pas été ordonné pour l’Église, mais pour toi-même ? Voilà, certes, une onction dont le Christ ne sait rien, et qu’il ne reconnaît pas.»

« Troisièmement, la pensée et le dessein du Christ, ses paroles l’indiquent assez, c’est qu’en faisant usage du sacrement, nous annoncions sa mort. Faites ceci, dit-il, en mémoire de moi, et comme ajoute Paul, jusqu’à ce qu’il vienne. Et toi, diseur de Messes privées, dans toutes tes Messes, tu n’as pas même une seule fois prêché ou confessé le Christ ; tu t’es réservé pour toi seul le sacrement;»

« Et les paroles de la Cène, tu les as marmottées pour toi seul, entre tes dents, comme si tu sifflais. Est-ce là l’institution du Christ ?. Sont-ce là les actes qui feront voir en toi le Prêtre du Christ ? Est-ce là se comporter en Prêtre chrétien et pieux ? Est-ce pour cela que tu as été ordonné ?»

« Quatrièmement, il est clair que la pensée, le dessein, l’institution du Christ, c’est que les autres Chrétiens participent au sacrement. Mais toi, tu as reçu l’onction, non pour distribuer le sacrement, mais pour sacrifier, et, contre l’institution du Christ, tu as fait de la Messe un sacrifice. C’est bien d’ailleurs ce que signifie clairement les paroles de l’Ordonnateur, car au moment où, selon le rite traditionnel, il met le calice dans les mains du nouveau Prêtre : Reçois, lui dit-il, la puissance de consacrer et de sacrifier pour les vivants et pour les morts. Quelle perversité, ô malheur ! Quelle infamie dans cette onction et dans cette ordination ! Voilà une viande, voilà un breuvage que le Christ a institués pour toute l’Église, pour tous ceux qui communient avec le Prêtre, et tu en fais, toi, un sacrifice propitiatoire devant Dieu ? O abomination qui passe toute abomination ! »

« Cinquièmement, la pensée et le dessein du Christ, nous l’avons dit, est que le sacrement soit distribué à l’Église et aux communiants pour relever et affermir leur foi contre les diverses tentations du péché, du diable, etc., et aussi pour renouveler et prêcher le bienfait du Christ. Mais toi, tu l’as considéré comme une chose toute personnelle, que tu pouvais faire sans les autres ou leur communiquer à ta fantaisie, soit gratuitement, soit pour de l’argent. Je te le demande, que peux-tu nier de tout cela ? Ainsi, c’est là le prêtre que tu as été, sans Christ et sans vrai foi ! un prêtre consacré et ordonné contre la pensée et l’institution du Christ, non afin de conférer le Sacrement aux autres, mais afin de sacrifier pour les vivants et pour les morts ! Non, tu n’as pas été ordonné pour être ministre de l’Église. De plus, n’ayant jamais distribué le sacrement aux autres, tu n’as pas prêché le Christ dans ta Messe, et tu n’as rien fait, en somme, de ce que le Christ a institué. Eh bien ! ne vois-tu pas que tu as été oint et ordonné contre le Christ, contre son institution, pour faire tout ce qui est contre lui ? Or, si tu as été oint et ordonné par l’évêque contre le Christ, n’est-il pas évident que ton onction est douteuse et ton ordination impie, fausse et anti-chrétienne ? Je soutiens donc que tu n’as pas consacré dans ta Messe, mais que tu as simplement offert, adoré et fait adorer aux autres du pain et du vin»

« Tu vois à présent que dans ta Messe il manque tout d’abord une personne qui ait pouvoir de consacrer, c’est-à-dire un homme chrétien. En second lieu, qu’il y manque une personne pour qui l’on consacre et à qui l’on doive conférer le sacrement, c’est-à-dire l’Église, le reste des fidèles et le peuple. Mais toi impie, toi ignorant du Christ, tu es là debout, seul, et tu t’imagines que c’est pour toi que le Christ a institué le sacrement et qu’il te suffit de dire un mot dans ta Messe pour fabriquer incontinent le corps et le sang du Seigneur ; quand, au lieu d’être un membre du Christ, tu es son ennemi. Troisièmement, il manque ici l’esprit, l’intention, le fruit et l’usage du sacrement, toutes choses en vue desquelles le Christ l’a institué. Car le Christ a institué le sacrement au profit de l’Église pour être mangé et pour être bu, pour fortifier la foi des fidèles, pour prêcher et pour exalter dans la Messe le bienfait du Christ.»

« Maintenant dans ta Messe à toi, personne, dans le reste de l’Église, n’en connaît rien ; tu n’en dis rien, tu n’en donnes rien à personne ; seul dans ton coin, silencieux et muet, tu manges tout seul, tu bois tout seul ; ignorant de la parole du Christ, incrédule, indigne, tu ne fais communier personne avec toi, et suivant l’usage qui vous fut cher, tu vends cela pour de l’argent comme de bon ouvrage.»

« Si donc tu n’es pas la personne qui puisse et doive consacrer ; si pareillement il n’y a personne à ta Messe pour recevoir le sacrement ; si encore tu bouleverses, détruis ou dénatures complètement l’institution du Christ, si en un mot tu as été oint pour faire tout cela contre le Christ et l’institution du Christ, qu’est-ce alors que ton onction, ta Messe et ta consécration, sinon blasphème et tentation de Dieu ? D’où il suit que tu n’es pas véritablement prêtre, ni le pain véritablement le corps du Christ.»

« Je ferai une comparaison : supposons qu’on administre le baptême là où il n’y a personne à baptiser ; qu’un évêque, par exemple (selon la coutume ridicule qui a eu cours chez les Papistes), s’avise de baptiser une cloche et une sonnette, c’est-à-dire une chose qui ne peut ni ne doit être baptisée : dis-moi, je te prie, serait-ce là un véritable baptême ? Ici tu es bien forcé de convenir que non. Car qui pourrait baptiser ce qui n’existe point, ou ce qui n’est point personne apte à être baptisée ? Quelle sorte de baptême serait-ce là, si, en versant de l’eau je prononçais en l’air ces paroles : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ? Qui donc, dans ce cas, recevrait la rémission de ses péchés, ou le Saint-Esprit ? L’air ou la cloche ?»

« Il n’y a point là de baptême, c’est palpable, encore que les paroles du baptême soient prononcées, ou que l’eau soit répandue, car il manque une personne qui puisse recevoir le baptême. Eh bien, que dirais-tu si dans ta messe il en était de même, si tu prononçais des paroles, croyant recevoir le sacrement, et que toutefois tu ne reçusses que du pain et du vin ? Car la personne qui doit recevoir, l’Église, est absente ici ; et toi impie, toi incrédule, tu n’es pas plus capable de recevoir le sacrement que la cloche de recevoir le baptême ; enfin tu n’es rien du tout quant au sacrement.»

« Tu diras peut-être : c’est vrai, je ne confère pas le sacrement aux autres membres de l’Église, mais je le prends moi-même, je me le confère à moi-même. Et il y en a plusieurs parmi les autres qui, tout incrédules qu’ils sont, reçoivent le sacrement de baptême ; et cependant c’est un vrai baptême, un vrai sacrement qu’ils reçoivent. »

« Pourquoi alors, n’y aurait-il dans ma Messe un vrai sacrement ? Mais ce n’est pas la même chose : dans le baptême en effet (même lorsqu’il est conféré dans un cas pressant), il y a au moins deux personnes, celle qui baptise et celle qui doit être baptisée, et souvent aussi plusieurs autres membres de l’Église. Et la fonction de celle qui baptise est telle, qu’elle communique quelque chose aux autres personnes de l’Église, au lieu de prendre pour elle seule, au détriment des autres, comme tu le fais, toi, dans ta Messe. Enfin tous les accessoires de l’œuvre principale sont ici l’ordre et la règle de l’institution du Christ.»

« En second lieu, pourquoi n’enseignez-vous pas qu’on peut se baptiser soi-même ? Pourquoi condamnez-vous un baptême de cette espèce ? Pourquoi rejetez-vous la confirmation que, d’après vos rites, on se donnerait à soi-même ? Pourquoi la consécration ne vaudrait-elle rien, si quelqu’un se consacrait prêtre lui-même ? Pourquoi n’y aurait-il point d’absolution, si on s’absolvait soi-même ? Pourquoi point d’onction, si un malade à l’extrémité se la donnait à lui-même, selon les formes usitées chez vous ? Pourquoi point de mariage si quelqu’un s’épousait lui-même, ou voulait forcer une fille et prétendre que ce serait là un mariage, même malgré la fille ? Car voilà bien ; avec l’Eucharistie, vos sept sacrements. Or, si personne ne peut faire aucun de vos sacrements ni en user pour soi-même, comment expliques-tu que tu veuilles faire pour toi seul ce sacrement suprême, l’Eucharistie ?»

« Il est vrai sans doute que le Christ s’est pris lui-même dans le Sacrement, et que tout Ministre quelconque, en le conférant aux autres, le prend aussi pour lui. Mais il ne le consacre pas pour lui seul : il le prend de communauté avec les assistants et avec l’Église, et tout se passe conformément au Verbe de Dieu, selon l’ordre et le commandement du Christ. Quand je parle ici de consécration, c’est pour demander si un prêtre peut consacrer et réaliser le sacrement pour lui seul ; car je sais fort bien qu’une fois la consécration faite, il peut en user comme les autres : c’est une communion, et la table du Seigneur est ouverte à tous. De même, quand j’ai demandé si l’on pouvait se donner l’onction et s’appeler soi-même, je savais de reste qu’une fois oint et appelé, on pouvait ensuite user de sa vocation. De même encore, en parlant de quelqu’un qui violerait une fille, j’ai demandé s’il suffirait au mécréant d’appeler mariage cette conjonction ; mais je sais fort bien que si la fille consent d’abord au mariage, la conjonction qui s’ensuit est un mariage. »

Dans cette angoisse, dans ce débat contre le Diable, je voulais repousser l’ennemi avec les armes qui m’étaient familières sous la Papauté ; je lui objectais l’intention et la foi de l’Église, foi et intention auxquelles je m’étais conformé en célébrant des Messes privées. A supposer, disais-je, que je me sois trompé dans ma foi et dans ma pensée, encore est-il certain que la foi de l’Église et la pensée de l’Église ont été en cela ce qu’elles devaient être. Mais Satan, avec plus de force et de véhémence :

« Ah çà, me dit-il, fais-moi donc voir où il est écrit qu’un impie, un incrédule, puisse officier à l’autel du Christ, et consacrer, réaliser le sacrement dans la foi de l’Église ? Où est-ce que Dieu a prescrit ou ordonné cela ? Comment prouveras-tu que l’Église te communique son intention pour dire ta Messe privée ?»

« Et si maintenant, si tu ne possèdes pas le Verbe de Dieu, si ta science vient des hommes et non du Verbe, alors ta doctrine entière n’est que mensonge. Quelle impudence est la vôtre ! vous faites tout cela dans les ténèbres, vous abusez du nom de l’Église ; et puis vous voulez défendre toutes ces abominations en prétextant de l’intention de l’Église : l’Église ne croit rien, ne pense rien en dehors du Verbe et de l’institution du Christ, à plus forte raison contre son esprit et son institution ; c’est ce que j’ai déjà dit, et Paul l’a dit avant moi dans sa première épître aux Corinthiens, au chapitre II, touchant l’Église et l’assemblée des fidèles : Nous possédons l’esprit du Christ.»

« Or, de qui apprendras-tu que telle ou telle chose est selon l’esprit et l’intention du Christ et de l’Église, sinon du Verbe du Christ (ex Verbo Christi), de la doctrine et de la confession de l’Église ? Comment sais-tu que, selon l’intention et l’esprit de l’Église, l’homicide, l’adultère, l’incrédulité sont des péchés damnables, comment sais-tu cela, et autre chose du même genre, sinon par le Verbe de Dieu ?»
« Si maintenant, pour connaître l’intention de l’Église à l’égard des bonnes et des mauvaises actions, il faut s’en rapporter au Verbe et au commandement de Dieu, combien plus grande la nécessité de demander au Verbe de Dieu ce qu’elle pense de la doctrine ! Pourquoi donc dans ta Messe privée, ô blasphémateur ! contreviens-tu aux ordres et aux paroles précises du Christ ? Pourquoi cherches-tu ensuite à couvrir ton mensonge, ton impiété, du nom et de l’intention de l’Église ? Et c’est de ces misérables couleurs que tu pares tes fictions, comme si l’intention de l’Église pouvait être contraire aux paroles précises et à l’intention du Christ ? D’où te vient cette prodigieuse audace, de profaner le nom de l’Église par un mensonge si impudent ?»

« Bref, tu es diseur de Messes, et tu n’as été consacré tel par l’Évêque que pour agir dans la Messe privée contre les paroles précises et l’institution du Christ, contre l’esprit, la foi et la confession de l’Église : donc ton onction est tout ce qu’il y a de plus profane ; elle n’a rien de saint ni de sacré. En outre, elle est plus vaine, plus inutile, et tout aussi ridicule que le serait le baptême d’une pierre, d’une cloche, etc. Et pour finir, ajouta Satan, il est donc prouvé que tu n’as pas consacré, mais que tu as seulement offert du pain et du vin, comme les Païens ; et que, par un trafic infâme, insultant pour la divinité, tu as vendu ton oeuvre aux Chrétiens, servant ainsi ni Dieu, ni le Christ, mais ton ventre. Quelle est donc cette abomination, inouïe au ciel et sur la terre ? »

Tel est à peu près le résumé de cette discussion.

Source: Béthel

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