Pratiques occultes: Engouement pour la pratique de la Sorcellerie en Suisse - (Rapporté par Robert)
Harry Potter étudie à votre porte. A l’occasion de la sortie du tome 5 de la saga du jeune sorcier, Jocelyn Rochat est parti à la recherche des mages de nos vallées. Et les a trouvés, en plein XXIe siècle.
Mercredi prochain, la Suisse romande devrait vivre, comme tant d’autres pays avant elle, la traditionnelle ruée dans les librairies «moldues» provoquée par l’arrivée de L’Ordre du Phénix, le cinquième tome des aventures du jeune sorcier Harry Potter. Comme tant d’autres pays? C’est à voir, tant nos contrées montagneuses n’ont cessé d’entretenir des liens privilégiés avec l’univers de la magie. Un héritage qui remonte peut-être à l’âge des druides, mais encore à la fin du Moyen Age, quand la Suisse abritait, dit-on, les premières académies de sorcellerie. Une époque où le concept de sabbat était inventé dans les Alpes pour décrire le ballet nocturne des chevaucheuses de balais.
Jetez des sorts et il en restera forcément quelques traces, comme l’a rappelé la publication récente d’un vieux grimoire jurassien intitulé Le Véritable Dragon Rouge, suivi de La Poule Noire. Rédigée en 1521 et recopiée en 1846, cette œuvre de moines nous livre des recettes permettant de parler aux morts, de se rendre invisible, de gagner toutes les fois que l’on joue à la loterie ou de vaincre les maladies. Comme l’exact et pointilleux processus qui permettrait de pactiser avec le Diable.
Bientôt épuisée, la publication pourrait être rééditée en France. Histoire de répondre à un engouement qui «a un peu surpris» Pierre Froidevaux, le président de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine rural jurassien (ASPRUJ) qui publie le grimoire. «Nous avons reçu des téléphones de personnes qui se plaignaient parce que la recette n’est pas assez claire ou qui nous demandaient comment se procurer certains ingrédients, parce qu’ils cherchaient à commercer avec des forces démoniaques.» Des sorciers, sérieusement? «Ces personnes font vraiment appel à Belzébuth, répond le président. Je vous laisse apprécier ce qu’elles sont.»
A des lieues de ce délire, Pierre Froidevaux estime plutôt que, «quand on lit ce texte attentivement et avec un minimum de culture, on découvre qu’un enfant qui est allé à l’école ne peut pas y croire». Un avertissement qui n’a pas découragé le bon millier d’acheteurs de l’ouvrage ésotérique, dont plusieurs semblent prêts à passer à l’acte.
Peut-on savoir où ces apprentis sorciers prononcent leurs incantations? Le président ne nous donnera pas les noms des plus actifs, mais précise volontiers que «ce sont surtout Neuchâtel, le Jura et Fribourg qui sont les plus demandeurs». Avec la Savoie, considérée comme «très friande de ce genre de textes».
«Ce qui est fascinant, c’est de voir que, dans une société qui se croit rationnelle, il reste autant de gens qui considèrent la sorcellerie comme une recette, enchaîne l’ethnologue neuchâtelois Yvan Droz. Cela confirme que, sous un vernis de rationalité, nos sociétés fonctionnent comme toutes les autres, notamment les africaines ou les amérindiennes, où la sorcellerie fait partie du quotidien.»
Magicienne new age
Présente, la sorcellerie l’est assurément dans nos contrées. Mais elle a pris soin de changer de nom. «A part, peut-être, les adeptes de la magie noire, plus personne ne revendique aujourd’hui le titre de sorcier. Il est connoté de manière trop négative, assure la thérapeute vaudoise Hannah M. Actuellement, un “sorcier” peut se dissimuler derrière un magnétiseur, un géobiologue, un médium, un tarologue, un cartomancien, un astrologue ou un naturopathe.»
«Aucun de ces termes inscrits sur une carte de visite ne recouvre la totalité de la fonction, ajoute la Française Monique Serey, auteur du best-seller Je suis une Sorcière… vous aussi (Albin Michel). Ils désignent plutôt des spécialités fondées sur des techniques particulières: les cartes, les astres, le marc de café, la boule de cristal. Sorcière, vous dis-je! On ne peut y échapper. Bien sûr, en lisant le dictionnaire, ce n’est pas très flatteur: la sorcière est une personne qui exerce des maléfices, commerce avec le Diable et se rend au sabbat. La sorcière que je suis est plutôt bénéfique.»
Cet aspect positif de l’héritage est également assumé par Hannah M.: «Je suis une sorcière guérisseuse.» Rien, pourtant, ne semble dénoncer la quinquagénaire active: ni chapeau pointu, ni nez crochu, ni cheveux roux. Seuls quelques cheveux blancs trahissent la femme d’expérience. De faux airs de Mme Tout-le-monde et des lunettes d’enseignante juchées sur un petit nez, voilà la sorcière qui nous reçoit dans une grande pièce qui ressemble à n’importe quelle salle de consultation chez un médecin. A quelques détails près.
Huiles, plantes et décoctions
Cela commence par un prénom qui se termine en «a», comme toute adepte «normale» du paranormal (Madame Irma, Samantha de la série Ma sorcière bien-aimée…). Cela continue avec une méfiance envers les journalistes. Et cela se traduit par la dominante violette de la pièce. La couleur symbole des sorcières se retrouve en effet sur un grand tantra (tableau tibétain), un vase et les grands rideaux. Sans oublier les nombreuses bougies allumées, un lien avec le ciel et une protection contre les forces du mal. On note enfin quelques cohabitations imprévues entre l’exotique et le scientifique, comme le fax et le pendule, les bâtons d’encens plantés dans le sable et les classeurs violets.
De la vieille femme qui habitait dans les bois, à l’écart du village, Hannah M. pense avoir hérité «du septième sens qui se traduit notamment par des vibrations dans les mains qui aident à guérir», mais encore de la connaissance des plantes et d’une bonne dose d’intuition. Pourtant, pas question de se limiter à la recherche d’une racine de mandragore. La sorcière de la génération Harry Potter recourt plutôt à un mélange de techniques aussi variées que les fleurs de Bach, la spagirie (une préparation alchimique de plantes), les huiles essentielles et des plus classiques tisanes, décoctions et potions. Autant d’essences qu’elle sélectionne avec son pendule, «pas par magie, mais parce que les mains sont une antenne et qu’elles répondent à la place de notre cerveau déformé par le bagage rationnel».
Ambassadeurs de l’invisible
Comment expliquer la survie de telles pratiques à côté d’une médecine de pointe? «Les gens sont de plus en plus désemparés. Quand ils ont un problème, ils ne savent plus où aller. Ils ont besoin qu’on les rassure, qu’on les écoute. Et ils apprécient le mystère, celui qui leur fait imaginer que la personne derrière le bureau dispose d’un pouvoir.» Une analyse largement partagée par Monique Serey. «Les sorciers de village s’éteignent un à un, les prêtres ne répondent plus à toutes nos attentes, et pourtant, nous avons toujours autant, sinon plus, besoin de ces ambassadeurs de l’invisible, de ces interprètes de nos âmes.»
Du coup, la sorcière des champs s’est muée en sorcière des villes. Et son savoir ne se transmet plus dans le secret des familles, de grand-mère à petite-fille, mais durant des cours de développement personnel où l’on évoque la mémoire des murs et le pouvoir des plantes, où l’on rencontre des thérapeutes de l’âme qui éructent quand elles sont en ligne avec les forces surnaturelles. Où l’on parle de clairaudience (le don de ceux qui entendent des voix), de clairvoyance (ceux qui voient des choses, notamment les auras), de secrets pour guérir et protéger ou de vies antérieures.
Sabbat sur internet
Quel changement depuis le Moyen Age «où, selon une rumeur datant de 1430, les sorciers valaisans, fribourgeois, vaudois, valdôtains et savoyards enfourchaient leur balai pour filer nuitamment vers une école à la montagne où étaient enseignés les plus noirs maléfices», raconte l’historienne lausannoise et spécialiste des sorcières Martine Ostorero. La cérémonie d’initiation y était généralement célébrée à la lumière bleue de feux qui se consumaient sans bois et elle comportait un banquet cannibale constitué d’une brochette d’enfants. Elle se poursuivait par une orgie sexuelle où la sodomie était de règle et se terminait par un ultime hommage à rendre au Diable, qui prenait la forme d’un chat noir ou d’un bouc, avant que le candidat ne l’embrasse sur le postérieur ou l’anus.
Nos sorciers y apprenaient la préparation des onguents, comme celui à base de graisse d’enfants mêlée aux animaux les plus venimeux (serpents, crapauds, lézards, araignées) qui assurait une mauvaise mort à la personne visée. Autant de recettes secrètes il y a cinq siècles, mais qui circulent désormais dans des cercles bien plus larges, par la grâce des livres d’histoire, des ouvrages spécialisés ou même de l’internet. Avec quelles conséquences? «Elles peuvent être graves, répond Hannah M. De nombreuses personnes s’imaginent qu’elles font de la magie blanche alors qu’elles barbotent dans la magie noire. J’ai entendu parler de deux adolescentes qui se sont amusées sur l’internet et ont commencé à faire tourner des tables. L’une d’entre elles s’est suicidée.»
C’est notamment pour des raisons de ce genre que Pierre Froidevaux a longuement hésité avant de laisser publier Le Véritable Dragon Rouge, suivi de La Poule Noire. Ayant estimé que ce «doux mélange de conceptions druidiques, païennes et chrétiennes, cet amalgame de forces surnaturelles que l’on interpelle, sans savoir si elles sont anges ou démons, était passé de mode», il a donné son feu vert. Et découvre aujourd’hui que ce n’est pas le cas.
Une réalité sociale qui ne pouvait qu’interpeller Yvan Droz. Car l’ethnologue croit connaître la raison de la persistance de ces croyances paranormales. «L’univers de la sorcellerie n’est pas un monde irrationnel, mais un monde qui répond à ce que le rationnel ne règle pas. La médecine répond à la question du comment, mais pas au pourquoi moi? Elle ne nous dit pas, par exemple, pourquoi vous êtes malade et pas moi. La sorcellerie, quant à elle, propose une réponse à ce pourquoi.» Elle vient ainsi combler un vide bien plus effrayant que la peur de la sorcière.
Source Hebdo.ch