L'homme qui monte dans l'Eglise catholique est caché au fond d'un monastère au détour d'une petite route de la campagne lyonnaise. Le père Joseph-Marie Verlinde a les faveurs des fidèles qui sont prêts à s'inscrire deux ans à l'avance pour participer à ses «sessions de guérison intérieure», et la bénédiction de la hiérarchie catholique. Le cardinal Lustiger l'a appelé pour prêcher les prestigieuses conférences de Carême à Notre-Dame de Paris en 2002 afin qu'il expose «ex cathedra» ce qu'il pense des nouvelles religiosités drainées par le New Age.

Le père Joseph-Marie Verlinde en parle d'expérience. Dans une autre vie, il y a une trentaine d'années, il avait mis ses pas dans celui du gourou de la méditation transcendantale, sur les routes de l'Inde, en quête des états modifiés de conscience. Avant de revenir définitivement sur les routes balisées du catholicisme romain, il a même cédé à la tentation ésotérique, s'essayant aux pratiques occultes. Ces années d'égarement, qu'il évoque très rapidement dans son premier livre L'Expérience interdite (Ed. Saint-Paul) mais qu'il répugne à raconter, sont le terreau de sa réflexion philosophique et théologique, le moteur de sa tentative renouvelée de livres (*) en conférences, et de cours en homélie, de démontrer l'incompatibilité radicale du christianisme avec les pratiques de méditation issues de l'hindouisme.

C'est une haute silhouette un peu voûtée, dans une robe brune de moine et un chandail sombre, qui entre vivement, un Thermos de café à la main, cet attribut moderne de l'intellectuel, dans le parloir de la bâtisse où le père Joseph-Marie Verlinde a installé au début des années 90 sa communauté religieuse naissante, la Famille de Saint-Joseph. Derrière la clôture où moines et moniales vivent au pas de la règle bénédictine, la température hivernale resserre encore son étau. Comme dans la pièce inaccessible au profane où le père abbé passe des heures et des jours courbés sur les Saintes Écritures, les sommes philosophiques et les grimoires ésotériques, n'en levant les yeux que pour se rendre aux Offices qui scandent le jour.

Le père Joseph-Marie a quelque chose du moine guerrier, qui, livre après livre, fait l'éloge du christianisme. De son expérience orientale, il a retenu surtout, et il en est encore émerveillé, la façon dont le Christ est allé jusqu'en Inde pour le repêcher. Et le ramener du bon côté du monde, la où on ne cherche pas à dissoudre l'illusion du soi et la conscience personnelle mais où l'on tire sa dignité de sa faculté de penser.

Chercheur en chimie nucléaire dans sa première jeunesse, il est devenu professeur d'épistémologie après ses études au séminaire de Rome. Entre cet éminent intellectuel et les sagesses orientales dont l'objectif ultime est d'être «sans idée», il y a la distance qui sépare l'Occident et l'Orient. Pas de doute : le choc des civilisations n'est pas là où on le croit, mais bien entre, d'un côté, «la plaque tectonique» de la révélation judéo-chrétienne et, de l'autre, le paradigme des religions naturalistes et monistes. Dans un cas, l'homme se sauve lui-même, dans l'autre, Dieu le sauve. «Quand je lève le ton, c'est là-dessus. Je ne veux pas céder sur ce point.»

Même l'oraison des mystiques n'a rien à voir, affirme le père Joseph-Marie, avec l'éveil ou l'extase des yogin. «L'intérêt de la philosophie, reprend-il, est de voir les différences : d'un côté du monde, on dit je pense donc je suis, de l'autre, je pense donc je ne suis pas encore...» Les méthodes de méditation que nombre de chercheurs de sens tentent d'acclimater en Europe sont, selon lui, incompatibles avec le génie français. «Il y a une vivacité de l'esprit qui est la force de la France !», défend celui dont la stature, anguleuse et noueuse, a plus du chêne que du roseau.

Sur son site Internet Final age, Jacques – c'est son nom de baptême – oeuvre maintenant à ramener les ouailles intriguées par les univers occultes et celles qui, étourdies par le vacarme de la vie moderne, cherchent au moyen des techniques de méditation orientales le silence. «Il vaut mieux être pauvre en écoutant la parole de Dieu que de se donner par des techniques un silence vide. Le chrétien va au désert...», lâche cet apôtre hanté par la dramaturgie chrétienne. «Au moment de ma conversion, se souvient-il, j'ai été saisi par la confrontation entre une icône du Christ en croix et une représentation de la mort du Bouddha. D'un côté, un visage serein et un sourire mystérieux. De l'autre, Jésus est debout, élevé entre ciel et terre, les bras ouverts, pleinement déployés, dans un geste d'appel et d'étreinte universelle.»

Le père Joseph-Marie prétend «éclairer la conscience et non s'y substituer». Il reconnaît pourtant faire preuve d'intransigeance, parfois. Ainsi recommanda-t-il à une mère dont le fils suivait des cours de yoga à l'école d'exiger qu'il en soit dispensé : «C'est le chien qui aboie contre le loup ! Je débats volontiers avec les Roses-Croix et les francs-maçons qui viennent me voir. Mais il y a des situations concrètes qui relèvent de l'urgence !» Il décrit les séquelles de la magie, du reiki ou des pratiques chamaniques sur certains jeunes. Car l'abbé prend très au sérieux ceux qu'il pourfend : «Je crois que les énergies occultes existent. Si elles sont voulues par Dieu, elles sont bonnes. Ma foi est dans le Christ, pas dans les démons, précise-t-il. Mais pour les utiliser, même à des fins thérapeutiques, il faut invoquer l'aide des esprits. Même les occultistes et les chamanes vous disent que c'est dangereux !» 


 Rapporté par Robert Sur Voxdei

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