La direction générale fait comprendre clairement à Christian Mochon qu’il n’est plus à sa place dans l’entreprise. Ses cheveux, sa démarche, son management font l’objet de reproches de plus en plus acerbes et déplacés.
Colette Legras l’adjointe de directeur général souffle qu’il pourrait prendre sa retraite ou faire autre chose professionnellement.

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 Claude Cognard
72 B RUE Bergson
42000 SAINT-ETIENNE

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Ce texte est une pure fiction, les situations et les lieux sont imaginaires.
Toute ressemblance entre les personnages du récit et des personnages vivants ou ayant existé serait totalement fortuite. Ceci n’a bien entendu strictement rien à voir avec les expériences professionnelles, passées,présentes voire à venir de l’auteur.

Quinqua et fier de l’être
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LES PERSONNAGES

Gaétan Duallier Homme 59 ans Directeur général
Christian Mochon Homme 50 ans Directeur d’un magasin
Colette Legras Femme Nouvelle adjointe à Duallier.
Adeline Nichapoux Femme Responsable des stocks.
Mathilde Barn Femme Directrice d’un magasin.

1 Bureau ministre (Gaétan Duallier)
1 Bureau ½ Ministre (Christian Mochon)
4 sièges.
2 Téléphones.
1 ampli.
3 Sacoches
2 Listings.
2 Lettres.
1 Poubelle.
Tenues de ville. Costume cravate pour les hommes.

Acte I

Duallier DIRECTEUR GENERAL.(Assis derrière son bureau. Sans lever les yeux)

Asseyez-vous !

CHRISTIAN Mochon, directeur de magasin.

Merci, Monsieur !

Gaétan Duallier.

Mochon ! Il y a combien de temps déjà que vous travaillez dans notre entreprise ?

Christian Mochon.

Vingt ans, Monsieur, vingt ans, un peu plus de vingt ans que j’ai ouvert la première boutique du groupe ! J’avais vingt-huit ans, presque vingt-neuf…

Gaétan Duallier.

On ne vous demande pas de nous raconter votre destinée, je vois bien que vous n’êtes pas de la dernière fraîcheur. Vous feriez mieux de vous asseoir.

Christian Mochon qui s’assied.

Désolé, Monsieur, mais ma destinée en vaut une autre et ma fraîcheur est celle d’un homme qui a travaillé dur pour remplir sa mission, nourrir sa famille et permettre à cette entreprise d’être ce qu’elle est.

Gaétan Duallier qui rit.

Après nous avoir raconté sa vie, il nous fait de la littérature.
Vous feriez mieux de rendre visite à votre coiffeur.

Christian Mochon en se touchant les cheveux.

Rendre visite à mon coiffeur ? Vous dites ça parce que j’en sors. Vous faites de l’humour Monsieur ou est-ce de la provocation ?

Gaétan Duallier.

Je vous ai toujours vu avec les mêmes cheveux blancs.

Christian Mochon.

C’est de famille ! Je ne suis pas un adepte de la teinture capillaire. Mon physique vous convient-il ?
Pas d’autres problèmes à signaler, pas d’oreilles trop longues, pas de dents abîmées ? Si oui, dites-le, je consulterai un chirurgien esthétique. Souhaitez-vous que je me fasse retendre la peau du visage ?

Gaétan Duallier.

Votre mère a dû avoir un choc en accouchant … Enfin même, si ceci n’a pas été le cas, qui est déjà vieux à quarante ans, sera encore vieux à soixante ! Tout cela pour vous dire, si cela vous console, que vous ne changerez plus physiquement !

Christian Mochon.

Bon maintenant cela suffit, vous ne m’avez pas fait venir pour m’insulter, si ?
Si c’est le cas, votre humour me laisse de marbre ! J’ai des cheveux blancs depuis quelques années, je n’y peux rien Monsieur !
Comment dois-je prendre une analyse aussi pertinente de votre part ?

Gaétan Duallier.

Vous la prenez comme vous le voulez, je m’en moque.

Christian Mochon.

J’avais bien compris.Bien !

Gaétan Duallier.

Évidemment, ce n’est pas à vous que j’apprendrai que notre président n’assure plus ses fonctions depuis quelques semaines…

Christian Mochon.

Le bruit court …C’est dramatique ! J’espère qu’il va s’en remettre.

Gaétan Duallier.

Vous savez toujours, tout !
Informatique, vous savez ! Sécurité, vous savez ! Le président est malade, vous savez…

(Colette Legras, grande femme, lunette, tête haute entre).

Colette Legras.

Bonjour, Mochon !

Christian Mochon.

Bonjour, Colette. (Puis à Gaétan Duallier).

Oui, je le sais, comme les autres le savent… En vous entendant, j’ai l’impression d’avoir commis un crime parce que je connaissais l’état de santé du président. Pardonnez-moi, mais je trouve vos propos désagréables.

Gaétan Duallier qui frappe du poing sur le bureau.

Et moi je vous trouve exaspérant !

Colette Legras. (Elle s’est assise sur un angle du bureau du côté deChristian Mochon).

Toi, Mochon, il va falloir que tu te calmes maintenant. Tout est train de changer…

Gaétan Duallier.

Le patron change. Pardon, il a été remplacé, c’est un fait !

Christian Mochon.

C’est triste, vraiment triste.

Gaétan Duallier.

Pas de quoi pleurnicher pendant des heures ou s’appesantir.

Christian Mochon.

Non, j’ai tout de même le droit de dire que l’idée qu’il puisse ne plus diriger cette entreprise me touche profondément. C’est lui qui m’a donné ma chance, il y a si longtemps …
Je ne trouve pas de mots pour exprimer ce que j’éprouve.

Gaétan Duallier. (Railleur)« Je ne trouve pas de mots pour exprimer ce que j’éprouve ».
Vous n’allez pas chialer, tout de même !

Christian Mochon.

Certes, non ! Mais ceci resterait mon droit que je sache.
Tous nous regretterons son génie des affaires, son sens du client et de la gestion.

Gaétan Duallier.

Les autres n’ont pas ces qualités-là évidemment ?
C’est un homme que je….(Il hésite à aller plus loin)

Ça va certainement vous faire drôle !

Colette Legras.

Ça doit déjà lui faire drôle !

Christian Mochon.

Pourquoi ?

Gaétan Duallier.

Parce que vous faites partie de ceux qui préfèrent toujours s’adresser au Bon Dieu. Et si le bon dieu est mort….

Christian Mochon.

Pardon ?

Gaétan Duallier.

Personne n’est dupe.

Christian Mochon.

Dupe ? Dupe de quoi ?

Colette Legras.

Comme si tu ne le savais pas !

Gaétan Duallier.

Sous prétexte que vous avez été le premier à travailler avec le président, vous vous êtes, pardon…. Monsieur s’est attribué des prérogatives qui désormais n’ont plus de raison d’être et il va falloir que Monsieur se calme.

Christian Mochon.

Que je me calme ? Encore ?

Gaétan Duallier. (Qui se lève)

Que vous vous calmiez, vous m’avez très bien compris.

Christian Mochon qui se lève.

Non, je n’ai… Je… Je ne comprends pas !

Gaétan Duallier.

Restez assis ! Vous en preniez un peu trop à votre aise.

(Christian Mochon s’assoit.)

Colette Legras.

Beaucoup trop à ton aise.

Gaétan Duallier.

Et Monsieur le président par ci et Monsieur le président par là !
Et que je te téléphone par ci et que je te téléphone par là !

Christian Mochon.

Je ne l’appelais jamais ! Il lui arrivait de me téléphoner, je l’admets ?
Mais, jamais, vous m’entendez, jamais je ne l’appelais. C’est une vieille habitude qu’il avait prise, au tout début de l’aventure magasins.

Gaétan Duallier.

L’aventure magasins ? Vous vous prenez pour Christophe Colomb ?

Christian Mochon.

Christophe Colomb ?

Gaétan Duallier.

Ne faites pas l’ignorant ! Vous me comprenez très bien ! Vous vous prenez pour un expert ? Pour le chef ? Désormais, vous allez faire comme vos collègues.

Christian Mochon.

Je ne me prends pour rien du tout !

Colette Legras.

Tu as raison tu n’es rien du tout !

Gaétan Duallier.

D’ailleurs, il y a quelque chose qui ne fonctionne plus correctement dans votre magasin. Vos résultats baissent…

Christian Mochon.

Subitement ? Là, d’un coup ?

Gaétan Duallier.

Oui d’un coup.

Christian Mochon.

Monsieur, aucun des résultats de ma boutique ne baisse. Le chiffre d’affaires du magasin est un des meilleurs de la chaîne, l’équipe est accueillante, souriante, compétente…

Gaétan Duallier.

Ce n’est pas le problème.
Pour nous, vos résultats ne sont pas bons !

Christian Mochon.

Vous savez très bien que les résultats du magasin sont excellents. Puis-je avoir des explications, savoir ce que vous mijoter ?

Gaétan Duallier.

Soyez correct, vous n’avez pas à me demander de vous rendre des comptes. Quel âge avez-vous ?

Christian Mochon.

Quarante-neuf ans bientôt cinquante.C’est ça l’explication ?

Colette Legras.

C’est un peu jeune tout de même.

Christian Mochon.

Un peu jeune pour …?

Colette Legras.

La retraite… quarante-neuf ans !
Vous, à presque soixante, monsieur Duallier, vous faites tellement jeune.

Gaétan Duallier.

Merci, ma petite Colette, vous êtes adorable.
D’ailleurs, il faut que je précise à Christian Mochon que nous recherchions un directeur adjoint… niveau supérieur …Quelqu’un qui me seconde.
Enfin, vous me comprenez ?…

Christian Mochon.

J’avoue que …

Gaétan Duallier.

Vous allez me dire… qu’il y a longtemps que vous souhaitiez ce poste, que vous êtes le relais de vos collègues, que dès qu’il y a une paille en croix quelque part dans l’entreprise, c’est vous que l’on appelle. Vous rabâchez … Il n’y a pas que les cheveux qui sont blancs, la cervelle aussi… enfin, je dis cervelle, si vous en avez.
J’en ai assez de vous ! Vous êtes un manipulateur, lèche-bottes du président… je connais votre litanie par cœur.

Colette Legras.

Les choses vont changer mon petit Mochon.
Il va falloir que tu te plies, tu comprends… que vraiment tu te plies. Je viens d’être nommée par Gaétan Duallier au poste de superviseur, c’est moi qui le seconde.
(Elle glisse du bureau et avance sur Mochon)

Je suis ta chef.

Christian Mochon.

Félicitations.

Colette Legras.

Tes félicitations, je m’en fiche.
Ce que je veux, c’est que tu te bouges, maintenant…

Gaétan Duallier.

Vous pataugez au milieu de votre équipe.

Christian Mochon.(Il écarte les bras)

Je patauge ?

Colette Legras.

Oui, tu es dépassé, tu végètes au milieu de vendeuses alors que ton rôle voudrait que tu sois en train de préparer ton travail de manager.

Christian Mochon.

Mon travail de manager ? Et alors, je suis au milieu de mon équipe chaque fois que ceci est possible, c’est tout, c’est normal !
Les clients qui me connaissent aiment me retrouver sur la surface de vente, me voir.

Colette Legras.

Te retrouver ? Te voir ? Il y en a qui ne doivent pas être déçus.

Christian Mochon.

Tu comprends très bien…

Gaétan Duallier.

Entre nous, le président pas très brillant… (Pause)...Professionnellement…En plus, quand on voit les gamins qu’il a faits.

Christian Mochon.

Je ne peux pas laisser dire cela d’un homme qui a les qualités du président, il a tout de même créé une entreprise qui emploie aujourd’hui plus de deux mille personnes. Quant à ses enfants…. Ils sont …

Gaétan Duallier.

Justement, ils sont… c’est tout ! Ils sont ….
Aujourd’hui non seulement, il va nous falloir assumer la fonction du père, mais en plus, il va falloir former sa marmaille. Tout leur apprendre ! Sa racaille de marmaille ! Plus incompétents, difficile !

Christian Mochon.

Et alors ?
Qu’est-ce que j’ai à voir avec ce type de préoccupations ?

Colette Legras(Qui reprend sa position sur le bureau.)

Nous aimerions…
Enfin te concernant, nous aimerions que….

Gaétan Duallier.

Que vous…

Christian Mochon.

Vous l’avez dit, que je me montre moins entreprenant dans ma manière d’être, que je prenne moins d’initiative…

Gaétan Duallier.

Oui, mais…
Enfin c’est délicat.

Colette Legras. (Elle se relève et vient poser les mains sur les épaules de Christian Mochon.)

À ton âge, tu pourrais essayer de faire quelque chose, autrement, ailleurs…

Christian Mochon (Qui la repousse.)

Que voulez-vous précisément ?

Gaétan Duallier.

Rien, nous ne voulons rien ?

Christian Mochon.

Me voir partir ?

Gaétan Duallier.

Nous n’avons pas dit ça.

Christian Mochon.

Et que cherchez-vous à dire alors !

Colette Legras

(Elle va se placer derrière Gaétan Duallier.)

Nous, nous constatons…

Christian Mochon.

Que constatez-vous ?

Gaétan Duallier.

Que l’ambiance se dégrade dans votre magasin.

Christian Mochon.

Pourquoi dites-vous ça ?

Colette Legras.

Parce que nous avons envie de te le dire.

Christian Mochon.

Nous nous sommes rencontrés pour un entretien d’appréciation, il y a quinze jours, un entretien au cours duquel vous Monsieur Duallier, vous en personne, avez écrit de votre propre main, « très bonne ambiance »… Je tiens le document à votre disposition.

Gaétan Duallier.

L’entretien a eu lieu, il y a un mois.

Christian Mochon.

Un mois, si vous voulez.

Gaétan Duallier.(Il consulte son agenda)

Trois semaines.

Christian Mochon

Trois semaines ou un mois ?

Gaétan Duallier.

Eh bien, ce n’est pas la même chose. En plus vous manquez de précisions.

Colette Legras.

En trois semaines, l’ambiance s’est détériorée. C’est un constat.

Christian Mochon.

En trois semaines ?
Vous cherchez un motif pour m’écarter de mon magasin, me faire quitter l’entreprise ?

Gaétan Duallier.

Quitter l’entreprise ? Vous voulez partir ?
Si vous voulez partir la porte est ouverte.

Colette Legras.

Tu peux partir ! Aucun problème, tant mieux.

Christian Mochon.

Je n’ai jamais prétendu que je voulais partir.

Colette Legras.

Nous sommes deux à t’avoir entendu le dire.

Christian Mochon. (Qui hausse les épaules)

Je n’ai jamais dit, ça !

Colette Legras.

En plus tu mens ?
Tu reviens sur tes propos et tu mens…

Gaétan Duallier.

Vous n’entendez pas ce que vous dites ?
Vous n’assumez pas.

Colette Legras.

De toute façon, si nous voulons te faire quitter ton poste, nous, nous saurons t’y contraindre. Ce n’est qu’une question de patience pour nous…
Ça prendra le temps que ça prendra. Nous trouverons toujours la faille qui nous permettra de te …

Christian Mochon.

Vous voulez me licencier ?

Gaétan Duallier.

Ah non !

Christian Mochon.

Vous faites pression sur moi pour que je quitte l’entreprise.
Je vous rappelle que le licenciement ne s’improvise pas, qu’il y a une procédure légale définie…

Colette Legras.

Jamais parlé de licenciement ! Jamais dit ça !

Christian Mochon.

Qu’avez-vous dit alors ?

Colette Legras.

Tu entends mal !
Non seulement tu tiens des propos que tu nies un instant après, mais en plus tu prétends que nous tenons des propos que nous n’avons jamais tenus. Tu dois être fatigué ?

Gaétan Duallier.

Ça se passe bien avec votre femme ?

Christian Mochon.Oui, très bien ! Pourquoi ?
Que vient faire ma femme dans cette histoire ?

Colette Legras.

Rien !

Gaétan Duallier.

Au fait, avec votre collègue Mathilde Barn ?...
Avec elle, ça se passe plutôt bien ? N’est-ce pas ?

Colette Legras.

Vous avez fait la route ensemble pour venir jusqu’ici ?

Christian Mochon.

Oui, évidement, nous faisons du covoiturage.
Cela fait partie des directives que vous nous avez données. Au minimum deux personnes par voiture, sinon pas de remboursement des frais de route.

Gaétan Duallier.

Bien entendu, les frais de route, ça, c’est important.

Colette Legras.

Nous avons remarqué que depuis que tu fais le voyage avec Mathilde, vous arriviez à l’hôtel, les veilles de réunions à vingtdeux heures.

Christian Mochon.

Vous êtes bien informés.
Ils nous arrivent même d’arriver à vingt-trois heures…

Gaétan Duallier.

Autrefois lorsque vous faisiez les voyages avec votre collègue Franck Falsebottom, vous arriviez à dix-huit heures, vous dîniez le soir avec vos autres collègues.

Christian Mochon.

Possible ! Nous venions en train et le train arrivait vers dix-huit heures.

Gaétan Duallier.

Non, pas « possible » mais « certain » !

Christian Mochon.

Et alors ? Nous arrivons la veille des réunions, mais rien ne nous y oblige. Il m’est arrivé de me lever à quatre heures du matin de parcourir les quatre cents kilomètres de chez moi au siège pour commencer la réunion à huit heures trente.

Colette Legras.

Autrefois, au temps des dinosaures, avant la guerre de quatorze dix-huit. C’est bien ça ?

Christian Mochon.

Vous savez très bien que ma collègue Mathilde a quatre enfants dont deux en bas âge. Les soirs, elle attend que son mari qui est commercial rentre à la maison avant de partir. Nous quittons Aix à vingt heures trente.

Colette Legras.

À d’autres…

Gaétan Duallier.

Elle a raison, gardez vos élucubrations pour d’autres…

Christian Mochon.

Vous fonctionnez par suppositions, à quoi voulez-vous en venir ?

Colette Legras.

Même voiture plus une arrivée tard le soir !

Gaétan Duallier.

Vous êtes sûr que pour vous, le bord de mer, les vacances, la tranquillité. À cinquante ans, chacun aspire à la détente… Notre univers est contraignant, c’est beaucoup de soucis pour un homme vieillissant.

Christian Mochon.

Vieillissant ?
Pardonnez-moi, mais vous tenez bien le coup, vous ?

Colette Legras.

Lui, c’est autre chose…. C’est un leader, un vrai, rien ne le rebute…
Comme tu le sais, nous avons rénové ton magasin…

Christian Mochon.

Il n’était pas trop tôt ! Tous les autres ont été refaits, le nôtre qui est le plus ancien n’avait pas été ne serait-ce que nettoyé depuis plus de dix ans.

Gaétan Duallier.

Justement ! Avec la clientèle de vieux que vous avez …Nous allons changer tout cela. L’univers qui est le nôtre a besoin de jeunesse, … il faut que nous changions l’image…

Christian Mochon.

Nous avons aussi de jeunes clients, mais notre cœur de cible, c’est les quarante-cinq/soixante-cinq ans.

Colette Legras.

Peu importe ! Il y a des éléments un peu lourds dans le décor…

Gaétan Duallier.

Vous n’êtes pas un poids mouche que je sache.
Il faudrait aussi améliorer votre allure et votre démarche…

Christian Mochon.

Un mètre quatre-vingt-dix, quatre-vingt-dix kilos. Je n’ai pas tellement changé en vingt ans.
J’admets que je n’ai jamais envisagé les défilés de mode…

Colette Legras.

Cela t’amuse, j’en suis ravie.
L’idée de ta reconversion ne m’a pas l’air étranger…

Gaétan Duallier.

Le rugby, ce n’est pas notre tasse de thé. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est un homme…Épais…

Colette Legras.

Les éléphanteaux lorsque tu les vois dans la nature, c’est amusant, agréable même…. Mais dans une boutique, cela …

Christian Mochon.

Tu critiques ma démarche ?
Vous m’insultez ? Vous en êtes conscients ?

Colette Legras.

Nous ne t’insultons pas, nous soulignons les points importants qui devraient te permettre de t’améliorer. Disons que tu pourrais te montrer plus gracieux dans ta démarche…

Gaétan Duallier.

Le mot éléphanteau est un euphémisme destiné à vous permettre de comprendre plus aisément.

Christian Mochon.(Il se lève).

Je ne suis pas venu pour me faire injurier !

Gaétan Duallier.(Autoritaire)

Restez assis, Mochon !

Christian Mochon.(Qui s’assoit).

Les procédures de licenciement existent. Elles sont très précises…Si elles ne sont pas respectées le licenciement est abusif.

Colette Legras.

Pas de licenciement. Nous avons le temps…
Nous, ce que nous voulions que tu comprennes bien, c’est que le président n’est plus là pour te protéger.

Gaétan Duallier.

Quant à Monsieur Déherache, il vient de partir à la retraite. Pas de chance !

Colette Legras.

À ton âge, ce ne sera pas simple de te remettre dans le bon chemin, mais pour nous la route est libre.

Gaétan Duallier.(Qui rit)

Nous avons un boulevard devant nous et c’est nous qui imposons les rythmes de circulation et les marques au sol. Les voitures au fossé ne nous intéressent pas et vous êtes dans le fossé.
Il va falloir que vous vous pliiez, si vous souhaitez en sortir. Nous allons vous mater !

Colette Legras.

Ta nouvelle adjointe au fait ? Ça se passe bien.

Christian Mochon.

Oui, pas mal ! Elle vient d’arriver…dans la boutique.
Elle semble avoir beaucoup de soucis personnels…

Gaétan Duallier.

Nous avons bien fait de l’affecter chez vous…
Je crois qu’entre vous deux, ça ne se passe pas aussi bien que vous le dites.

Christian Mochon.

Vous êtes mieux informés que moi.

Colette Legras.

Non, nous savons ce qu’elle nous a dit.

Gaétan Duallier.

Vous voyez comme quoi, les événements sont d’une logique implacable, vous savez tout du président et vous ignorez tout de votre adjointe. Nous savons tout de votre adjointe et vous vous ne savez rien !

Christian Mochon.

Bien !

Gaétan Duallier.

Et ce qu’elle nous dit nous renverse !

Christian Mochon.

Je n’ai pas envie de poursuivre.

Colette Legras.

La vérité te dérange ?

Christian Mochon.

Si vous avez des choses à dire, dites-les.

Colette Legras.

Mireille Trodambition travaille dans l’entreprise depuis cinq ans.
Elle a travaillé auprès d’Alain Edemoi de la direction financière pendant deux ans, dont elle a redynamisé le service… ensuite elle a été affectée dans notre plus grand magasin de Paris pendant presque trois ans. C’est une pro.

Gaétan Duallier.

Une vraie professionnelle qui est là pour vous aider, vous, Mochon.

Christian Mochon.

Elle a une curieuse façon d’aider. Je note que les directeurs auprès desquels elle a travaillé sont tous au chômage aujourd’hui.

Gaétan Duallier.

Notez-le ! Vous avez raison de le noter. Mais retenez une chose, c’est que pour vous, c’est une chance qu’elle soit là. Elle va vous aider.

Colette Legras.

C’est ce qu’elle te dira et t’apportera à toi et à ton équipe qu’il faudra noter désormais. C’est une pro, il me paraît normal que lorsque sur son chemin, elle croise des incompétents, ceux-ci nous quittent, non ?

Christian Mochon.

Si vous le dites.

Gaétan Duallier.

Vous en doutez ?

Christian Mochon.

Edemoi est entré dans l’entreprise, quelque temps avant que j’y arrive. C’est lui qui a organisé le système de gestion encore en place aujourd’hui… c’était un proche du président et un grand professionnel …

Gaétan Duallier.

Vous dites ça, mais même le président n’a pas été difficile à convaincre. Mireille a fait un rapport tellement « parlant » que son incompétence a sauté aux yeux de tous.

Christian Mochon.

Ah bon ! Je l’ai eu au téléphone, il y a encore deux jours, c’est un ami…. Vous allez me dire aussi que Pierre Delavente, le dernier directeur de Mireille, qui a passé plus de quinze ans chez nous, n’était plus compétent lui non plus.

Colette Legras.

Non ! Nous ne vous dirons pas ça ! Nous n’avions pas besoin de ce garçon.

Christian Mochon.

C’est tout ?

Colette Legras.

C’est tout !

Gaétan Duallier.

Ce n’est pas votre problème.

Christian Mochon.

J’en déduis que je vais subir le même sort que ces deux collègues.

Gaétan Duallier.

Déduisez, il y a une chose que vous savez si bien faire, déduire ! Alors déduisez !

ACTE II.

Adeline Nichapoux.

Bonjour, Mochon.

Christian Mochon.

Bonjour, Nichapoux.

Adeline Nichapoux.

Tu ne m’appelles plus par mon prénom.

Christian Mochon.

Je te retourne la question.

Adeline Nichapoux.(Elle dépose son cartable sur le bureau de Christian Mochon.)

Je viens contrôler tes caisses.

Christian Mochon.

Contrôler mes caisses, sans prévenir ? C’est nouveau.

Adeline Nichapoux.

Normal !

Christian Mochon.

Pourquoi normal ?

Adeline Nichapoux. (Elle s’installe dans le fauteuil de Christian Mochon)

Gaétan Duallier me l’a demandé.

Christian Mochon.(Elle s’assoit dans un fauteuil visiteur.)

Écoute, s’il te l’a demandé, alors fais comme chez toi ! Tu es libre.

Adeline Nichapoux.

Je vais surtout te poser des questions.

Christian Mochon.

Si tu veux.

Adeline Nichapoux.(Elle ouvre son cartable, dont elle sort un dosser)

Le nom de ta caissière ?

Christian Mochon.

Marinette Dubois.

Adeline Nichapoux.

Marinette ?

Christian Mochon.

Oui, Marinette. Ce prénom est banni ?

Adeline Nichapoux.

Tu me dis que ta caissière s’appelle Marinette… Juste un prénom, pas de nom ?
Passons, moi j’avais noté Isabelle Uglygirl…

Christian Mochon.

Tu sais très bien que nous n’avons pas qu’une seule caissière dans les magasins, c’est moi qui t’ai formée, tu te souviens de l’organigramme mis au point.

Adeline Nichapoux.

Ne parlons pas d’histoire ancienne. Je constate que tu as une caissière numéro un, Isabelle, numéro deux Anna. Marinette n’est pas sur la liste des caissières.

Christian Mochon.

Mets tes fichiers à jour. Je ne peux rien dire de plus.

Adeline Nichapoux.

Je note…

Christian Mochon.

Marinette a fait l’objet d’une embauche comme caissière, le contrat a été émis par la direction du personnel et un double transmis à la direction des magasins.
Cette jeune femme travaille chez nous depuis deux ans… Ton dossier n’est pas à jour.

Adeline Nichapoux.

Je note et je transmettrai à Gaétan Duallier.

Christian Mochon.

N’hésite pas ! Ne te prive surtout pas de ce plaisir.

Adeline Nichapoux.

On va te dresser.

Christian Mochon. (Mouvements de surprise)

Pardon ?

Adeline Nichapoux.

Oui, il va falloir que tu te plies.

Christian Mochon.

Quoi ? J’ai mal compris.

Adeline Nichapoux.

Tu nous as bien compris.

Christian Mochon.

Tu dis « Nous » qui est ce « nous » ?

Adeline Nichapoux.

Tu le sais très bien. Je reprends : Tu me parles d’une caissière, Marinette et te me dis qu’elle travaille dans ton magasin depuis deux ans or moi je connais Isabelle et Anna. Ne me dis pas que c’est cohérent. Il va falloir que tu deviennes cohérent, que tu fasses preuve de rigueur. Tu ne connais même pas le nom de ton personnel.

Christian Mochon.

Qu’est-ce que tu racontes ? Tu… mais tu… Qu’est-ce que tu cherches à dire ou à faire ?

Adeline Nichapoux.

D’être objective !

Christian Mochon.

Objective ? Tu parles d’objectivité, je ne comprends…

Adeline Nichapoux.(Elle déplie des listings qu’elle vient de sortir de son cartable)

D’ailleurs, il faut que tu m’expliques, pourquoi il y a ces erreurs de caisses.

Christian Mochon.

Erreurs de caisses ?

Adeline Nichapoux.

Oui, erreur de caisse ?

Christian Mochon.

C’est moi, qui t’ai formée, je t’ai appris tout ce qui de loin ou de près touche à la gestion des caisses.

Adeline Nichapoux.

Justement ! C’est encore plus inadmissible.

Christian Mochon.

Il n’y a aucune erreur de caisse !

Adeline Nichapoux.

Et tu avoues implicitement que tu ne contrôles pas le travail de ton personnel le soir.

Christian Mochon.

Tu n’es pas sérieuse, je suis présent tous les soirs depuis vingt ans. Et je sais qu’il n’y a pas eu la moindre erreur de caisse ces derniers Jours.

Adeline Nichapoux.

Eh bien, je vais te montrer tes erreurs.

Christian Mochon.(Qui prend le listing)

Évidemment une erreur reste toujours possible… si c’est le cas, j’en suis avisé par la caissière, nous la corrigeons et nous l’expliquons à la compta. C’est la procédure…
(Brutalement, il referme le listing)

Attends, Adeline, tu as souligné comme une faute, la double écriture provoquée par le nouveau logiciel de caisse… Tu sais très bien que l’informatique travaille sur ce bug et que tous les magasins y sont confrontés.

Adeline Nichapoux.

C’est toi qui le dis !

Christian Mochon.

Non, ce n’est pas moi, c’est un fait !

Adeline Nichapoux.

Non, c’est toi qui le dis et nous nous saurons en tenir compte. En plus ton inventaire est faux.

Christian Mochon (qui se frappe la tête.)

Comment ? Mon inventaire est faux ?

Adeline Nichapoux.

Oui, nous avons repris ton inventaire tournant de novembre dernier, vingt montres n’avaient pas été intégrées.

Christian Mochon.

Évidemment, il s’agissait d’achats directs faits par Gaétan Duallier que la cellule stock du siège avait oublié d’intégrer, c’est moi qui leur ai signalé l’omission, vous n’allez pas renverser la situation. Tout a été régularisé sans problème.
C’est Duallier qui n’avait pas fait son travail.

Adeline Nichapoux.

Tu ne reconnais pas tes erreurs et tu accuses les autres.

Christian Mochon.

Tu n’es pas sérieuse, Adeline, tu sais très bien que le stock était juste que ces « plus » ont été régularisés.
(Il ouvre le tiroir de son bureau)
J’ai le courrier par lequel je signale l’oubli. Il n’y a jamais eu de problème. En plus novembre dernier, c’était il y a un an, vous vous seriez réveillés depuis longtemps ? Non ?

Adeline Nichapoux.

Tu ne reconnais pas tes erreurs ? C’est bien ce que je disais…
Alors j’imagine que les 2000 Euros de démarques inconnues à l’inventaire de janvier, vont te paraître d’une logique à toute épreuve.

Christian Mochon.

Tu n’es pas sérieuse ! 2210 € de démarques inconnues pour un chiffre de 3 millions d’euros, c’est risible ! D’autant que les problèmes informatiques ces derniers mois ont été fréquents…

Adeline Nichapoux.

Tu ne reconnais pas tes erreurs.

Christian Mochon.

Il n’y a rien à reconnaître, tu te moques de moi.

Adeline Nichapoux.

Pas du tout.

Christian Mochon.

Tu te souviens tout de même que j’ai été ton formateur ?

Adeline Nichapoux.

Je n’ai pas à me souvenir, j’ai des ordres de plus haut pour ne pas me souvenir.

Christian Mochon.

De plus haut ?

Adeline Nichapoux.

De plus haut.

Christian Mochon.

Colette Legras ?

Adeline Nichapoux.

Je n’ai pas à le dévoiler. Je constate que conformément aux doutes de Monsieur Duallier, les inventaires sont faux, tu ne sais même pas qui est responsable de tes caisses et en plus que tu nies tout.

Christian Mochon.

Je nie tout, évidemment que je nie tout.
Tu veux que je te dise, tu travailles à l’envers, tu t’y prends mal.

Adeline Nichapoux.

Et tu m’insultes ? Tu contestes mon travail.

Christian Mochon.Je ne t’insulte pas, j’essaie de comprendre pourquoi tu fais le jeu de ces deux arrivistes qui depuis que le président est absent, imaginent qu’ils vont régenter le monde.

Adeline Nichapoux.

J’ajouterai dans mon rapport que tu n’acceptes pas l’autorité de ta hiérarchie.

Christian Mochon.

Écoute, je vais te donner les clefs de la boutique, de mes bureaux de mes ordinateurs, tu pourras rencontrer les vendeuses, les techniciennes, les gardes, le chien du voisin, moi je m’en vais.
(Il sort).

ACTE III

Le président directeur générale est décédé le matin même.

Mathilde. (Très affectée)

Allo ! Il est décédé ce matin tu sais.

Christian Mochon.

Je suis vraiment touché, j’ai l’impression d’avoir perdu quelqu’un de ma famille. Il était qénial.

Mathilde.

Je ne le connaissais pas vraiment. La seule fois où je l’ai rencontré, c’était avec toi, dans son bureau.

Christian Mochon

Il était heureux de notre visite. Dualier lui n’a pas apprécié lorsqu’il a su que nous étions allés à son chevet.

Mathilde.

Comme toujours ! L’essentiel, c’est que nous ayons fait plaisir au président. D’ailleurs, je n’y comprends rien, Duallier et Legris s’en sont encore pris à moi. Hier, ils ont débarqué dans ma boutique et ils m’ont traité comme une « moins que rien ».

Colette Legras est entrée dans le magasin, elle s’est adressée à Denise Dupuy, la petite dernière que j’ai recrutée pour la déco… et tu sais ce qu’elle lui a demandé ?

Christian Mochon.

Non ?

Mathilde.

Elle lui a demandé comment était l’ambiance du magasin.
Tu as déjà vu ça, un superviseur qui entre dans un magasin et qui questionne les vendeuses au lieu d’en parler à la directrice en place. Avec moi, ça ne va pas durer, ils m’ont dans le collimateur…

Christian Mochon.

Nous sommes tous logés à la même enseigne.

Mathilde.

Non, mais attends, toi tu ne risques rien, vingt ans de boite !
Mais moi, je suis arrivée en même temps qu’eux, il y a deux ans. C’est Duallier qui m’a embauchée.

Christian Mochon.

Le patron décédé, ça va être pire. Ils vont tout refaire à leur façon.

Mathilde.

A leur façon peut-être, mais attends, une responsable qui débarque et qui …
Elle a demandé à ma responsable des stocks de lui faire une liste des vendeuses qui selon elle, seraient en conflit avec moi.

Christian Mochon.

Reste calme.

Mathilde.

D’accord, mais il faut quand même que j’ajoute que pour eux, mon adjointe est brusquement devenue incompétente !
Tu m’entends incompétente ! Ils m’ont dit les yeux dans les yeux, « Karine est incompétente, vous allez devoir la changer ».
La changer ? Karine ? La changer, tu entends ?… La changer comme un vieux chemisier… Karine qui vient de se marier qui va être maman dans … Ils ne savent pas qu’elle est enceinte…

Christian Mochon.

Elle est enceinte ? Tant mieux, elle devient intouchable.

Mathilde.

Christian, tu as entendu ce que je te disais ?

Christian Mochon.

Oui que visiblement, Gaétan Duallier et Colette Legras, se sont présentés chez toi et qu’ils ont tout critiqué.
Tu sais que Bérénice de Tulles a été licenciée.

Mathilde.

Bérénice ? Non ? Bérénice Balintano ? Ils sont devenus fous. Sous quel motif ?

Christian Mochon.

Pas de motif ! Officiellement tout au moins. Ils sont arrivés, ils lui ont dit, « prenez vos affaires pour vous c’est terminé, vous ne faites plus partie du personnel ». Tu imagines ?

Mathilde.

Ce n’est pas légal.

Christian Mochon.

C’est ce qu’elle leur a dit. Ils lui ont dit, vous n’avez qu’à vous adresser aux prud'hommes, si vous souhaitez réparation !

Mathilde.

Si le patron pouvait voir ça !

Christian Mochon.

Il doit se retourner dans son cercueil !

Mathilde.

Dans son lit de mort, tu veux dire !

Christian Mochon.

Je ne sais pas dans quoi, mais je suis sûr qu’il bouge. Figure-toi qu’ils me reprochent mon inventaire de novembre.
Tu te rappelles l’inventaire partiel que nous avions fait, il y a un an et comme cela ne leur suffit pas, ils ont ajouté, celui de janvier…

Mathilde.

Ils n’ont pas le droit et en plus ton inventaire est dix fois plus juste que le mien. J’avais 50 000 francs de démarques inconnues, enfin 7500 € et des brouettes.

Christian Mochon.

Ils cherchent des raisons pour me virer au plus bas prix.

Mathilde.

Ne te laisse pas faire.

Christian Mochon.

Tu sais, avant-hier j’étais au siège, tu sais ce qu’ils m’ont dit ?

Mathilde.

Accouche !

Christian Mochon.Ils ont insinué que si nous arrivions tard les veilles de réunions, ce n’était pas par hasard.

Mathilde.

Ils te prennent pour un dragueur. De quoi je me mêle ?
Franchement, mais Duallier te reproche de faire ce qu’il fait ouvertement avec l’autre pétasse de Colette. Depuis qu’il l’a embauchée, cette fille passe sa vie avec lui…

Christian Mochon.

Non, il cherche tout ce qui pourrait leur servir pour justifier un licenciement. Colette l’a dit, elle y mettra le temps, mais elle trouvera. On trouve toujours les moyens de virer les gens…
Il faut savoir être patient.

Mathilde.

Quelle enfoirée !

Christian Mochon.

Moi, ce que je crains le plus, c’est que le chiffre de tous les magasins ne commencent à s’effondrer.

Mathilde.

Pourquoi ?

Christian Mochon.

Parce qu’ils ont décidé de ne plus faire de marketing autour des villes où les magasins sont implantés. Ils m’ont retiré les catalogues, m’interdisent de faire des remises ou des cadeaux aux clients.

Mathilde.

Ils ont fait des études de l’impact de leurs décisions sur ta clientèle ?

Christian Mochon.

L’intuition suffit, a dit Gaétan Duallier.

Mathilde.

Ils n’ont pas le sens du business.

Christian Mochon.

La famille du président est trop gentille, dommage qu’elle ne se soit jamais intéressée à l’activité du père.

Mathilde.

Tu aurais dû postuler à la place de Legris.

Christian Mochon

Tu me vois travailler avec Duallier.

Mathilde en riant.

Non !

Christian Mochon.

Il y a trop de loups au siège, tu vois ce qui s’y passe. Il y a longtemps, que l’on m’avait proposé… La famille… enfin, c’était clair, dès que les magasins seraient assez nombreux…On devait créer un responsable de zone.

Mathilde.

J’aurais bien aimé travailler sous ta direction.

Christian Mochon.

Ne leur dis pas ça…

Mathilde.

Bérénice aurait aimé, elle aussi.

Christian Mochon.

Vous plaisantez ? C’est trop gentil. Mais je suis vraiment le dernier qu’ils viendraient recruter pour vous encadrer. Ils veulent des gardes-chiourmes. Je crois trop à la responsabilisation et au dialogue…

Mathilde.

Non, ce qui les gêne, c’est que tu connaisses trop bien tous les systèmes, tous les acteurs du siège et tous les services. Ils galèrent pour essayer d’être à ton niveau.

Christian Mochon.

Oui, on peut rêver.

Mathilde.

Je t’assure.

Christian Mochon.

À voir.

Mathilde.

Tu sais ce que nous allons faire, nous avons une réunion au siège la semaine prochaine, nous allons nous prendre Gaétan Duallier et Colette Legras entre quatre yeux.

Christian Mochon.

Qu’espères-tu leur dire ?

Mathilde.

Que je couche avec toi. Et que j’en suis fière.

Christian Mochon.

Ne tiens pas ce genre de propos, ils seraient capables de ne pas comprendre que tu plaisantes. Allez, il faut que je raccroche… Je t’embrasse.

Mathilde.

Moi aussi, je t’embrasse.

ACTE IV

Gaétan Duallier, Colette Legras, Mathilde Collins, Christian Mochon.Duallier (derrière son bureau)

Alors, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je n’ai jamais vu que deux directeurs me convoquent à un entretien par lettre recommandée.

Mathilde. (Assise en face de Duallier à côté de Christian Mochon.)

Eh bien Monsieur, vous ne pourrez plus le dire.

Duallier.

Vous, votre insolence….

Colette. (Assise à droite de Duallier)

Avec copie au fils de notre président. Vous aviez bu ou quoi ?

Mathilde.

Pourtant non.

Christian Mochon

Excusez-nous, mais visiblement nous n’avions pas d’autres solutions pour vous faire part de nos préoccupations.

Duallier (Il s’énerve et lève les bras en brandissant une lettre.)

Nous faire part de vos préoccupations ? De vos préoccupations, parce que vous avez des préoccupations ? Vous appelez ça des préoccupations ?

Colette (Presque conciliante.)

Tu déconnes Christian ! Tu aurais pu nous en parler !

Mathilde.

Vous en parlez ? Il a essayé…

Dualier la tête entre les mains.

Vous ! Vous vous taisez, on ne vous a pas demandé l’heure !

Mathilde.

Eh bien je vous la donne !

Colette (Elle se rapproche de Christian Mochon.)

Elle est folle cette fille, qu’est-ce que tu fais avec elle ?

Christian Mochon.

Qu’est-ce que tu cherches à me dire ?

Colette Legras

Je ne cherche rien, sinon à te mettre en garde. Nous avons déjà essayé et tu n’as pas écouté. Regarde où cela te conduit.

Duallier.

Cette fille est un danger pour vous. Vous ne vous…

Mathilde (Elle hausse le ton.)

Non mais enfin, vous permettez ?

Duallier.

Bien sûr que nous permettons, Madame nous n’avons d’autre choix que de vous permettre. La lettre que vous nous avez écrite ne nous laisse pas d’autres choix. Pas d’avocat, pas de délégué du personnel, pas de témoins ?

Mathilde.

La lettre a été écrite à deux.

Duallier.

À deux mains ? À deux pieds ?…

Christian Mochon

Vous le savez très bien que nous l’avons signée, elle et moi.

Colette.

Non, mais toi, c’est différent tu…

Christian Mochon

Qu’est-ce qui est différent ?

Duallier.

Vous êtes un leader, un de ceux qui sont à l’origine des magasins.

Christian Mochon

Je ne suis à l’origine de rien, Monsieur. Je vous rappelle vos propos…

Mathilde.

Vous pouvez répondre à notre lettre ?

Duallier (Il froisse la lettre et la jette à la poubelle.)

Voyez ce que j’en fais de votre lettre et estimez-vous heureux. Je pourrais vous poursuivre pour diffamation.

Christian Mochon (Il sort le double du courrier de sa sacoche.)

Ce n’est pas grave. J’ai le double.

Mathilde.

Nous sommes amoureux, Monsieur. C’est ce que vous dites, N’est-ce pas ? Eh bien, vous avez tout compris. Quelle brillante intuition. Vous vous souvenez que nous sommes en république et que les seigneurs n’ont plus le droit de cuissage sur leurs vassaux.

Christian Mochon

Vous n’avez pas à nous accuser sans savoir et quand bien même cela serait-il le cas, vous ’avez pas à vous en mêler.

Mathilde.

Est-ce que nous vous demandons ce que vous faites vous et Mademoiselle Legris ?

Duallier.

Non mais attendez ! Vous avez oublié que j’étais votre patron. Vous l’avez oublié ou quoi.

Christian Mochon

Non, nous ne l’avons pas oublié, mais vous vous avez oublié les principes mêmes du respect humain. Vous vous croyez tout puissant…

Colette LEGRAS

Calme-toi Christian, nous comprenons ton point de vue. Arrête, tu sais bien que nous n’avons rien contre toi.

Mathilde.

Contre moi, si ?

Christian Mochon

Les reproches que vous adressez à Mathilde sont des reproches que vous m’adressez moi.

Duallier.

C’est à vous de voir.

Christian Mochon

C’est tout vu.

Colette LEGRAS

Ta vendeuse chérie, Estelle ? Tu as remarqué qu’elle avait 400 heures au débit de son compteur.

Christian Mochon.

Tu plaisantes ! Tout d’abord je n’ai aucune vendeuse chérie et justeme nt, je voulais t’en parler, car je suis passé au bureau du personnel. Qu’est-ce que tu es allé bidouiller dans les états de présences de mon équipe avec Patrice de l’Info.

Colette LEGRAS

Je ne suis jamais allé au bureau du personnel.

Christian Mochon (Il sort un autre listing.)

Alors malgré tout, le respect que je te dois, puisque tu es devenue ma chef, explique-moi, pourquoi Estelle avait un compteur horaire excédentaire de 50 heures le 31 du mois dernier et que ce compteur a basculé brusquement dans le négatif le 1 du mois suivant. Plus 50 le 31 et moins 400 le 1er du mois suivant.

Colette LEGRAS

Je n’ai rien à expliquer. C’est une « régule »…

Duallier.

Elle n’a pas de compte à vous rendre.

Christian Mochon

Lorsqu’il s’agit de mon personnel, si ! La responsable du service des paies m’a expliqué que toi Colette, tu étais entrée dans son bureau comme une furie, que tu lui as demandé les états de pointages de ma boutique et que tu as décrété qu’il y avait des erreurs que Patrice allait corriger.

Duallier.

Mochon, vous m’emmerdez.

Christian Mochon

Pardonnez-moi, Monsieur, mais je crois que vos propos dépassent votre pensée. Enfin j’espère.

Duallier (Il se lève et se jette sur Christian Mochon qui esquive.)

Mochon vous m’emmerdez, vous êtes Moche et con. Mochon … Mochon, petit con, Mochon espion, petit con de chez con.

Mathilde.

Calmez-vous, Monsieur !

Colette LEGRAS

Gaétan, calme-toi !

Mathilde.

Je vois que le tutoiement est de rigueur. Allez, moi, je préfère partir. Tu viens Christian ?

Christian Mochon

Je préfère partir aussi, je suis trop moche et trop con, je suis Mochon, le petit con.

Mathilde.

Nous n’en resterons pas là !

Duallier.

Nous non plus !

ACTE V

Dans le bureau de Christian Mochon.

Duallier en montrant le siège visiteur.

Asseyez-vous en face Mochon !

Christian Mochon

Bien volontiers, Monsieur.

Duallier.

Normal, vous n’êtes plus chez vous.

Christian Mochon

Je n’ai jamais été chez moi ici, Monsieur.

Colette LEGRAS

Tu le seras encore moins dans quelques minutes.

Christian Mochon

C’est comme tu veux, Colette…

Duallier.

J’ai noté que vous aviez bien reçu la convocation et que vous ne souhaitiez pas être assisté par un représentant du personnel, ni d’ailleurs par qui que ce soit.

Christian Mochon

Absolument ! Je peux me défendre seul d’autant que visiblement votre décision est prise.

Duallier.

Ce moment, je le savoure, il y a deux ans que je l’attends.

Christian Mochon.

Je sais Monsieur.

Duallier.

Bien évidemment, vous savez que nous avons viré Mathilde Barn, votre collègue adorée.

Christian Mochon

Je sais Monsieur. Je sais que vous ne reculez devant aucun sacrifice et que tous ceux qui étaient proches de moi prenaient le risque d’être virés.

Colette Legras.

Passons…

Duallier.J’ai ici le rapport d’Adeline. Pour un directeur et un formateur, ce n’est pas fort de café. Je le savais depuis que nous nous sommes rencontrés.

Christian Mochon

Laissez le café à sa place et venez-en aux raisons qui vous ont conduits jusqu’ici.

Duallier.

Vous êtes nul, nous en avons la confirmation. Ne pas même connaître le nom de sa caissière …

Christian Mochon

Ne perdez pas votre temps avec ce genre de propos sans fondement, ni d’ailleurs à m’énumérer vos reproches, vous avez tellement pris de soins pour les construire que je connais déjà le contenu de ma lettre de licenciement. Alors au fait !

Duallier.

Nous y arrivons…

Colette LEGRAS

Ris, mon petit Mochon pendant qu’il est encore temps pour toi.

Duallier et Colette LEGRAS (Ensemble et montrant la porte.)

Dehors !

Christian Mochon

Monsieur, je ne m’attendais pas à autant d’égards de votre part, je vous en remercie. Par contre au point où nous en sommes, je vais vous dire ce que je pense de vous.

Duallier. (Bras tendu, il hurle)

Vous êtes sourd ? Sortez !

Christian Mochon

Avant tout, je vais vous expliquer qui vous êtes…

Duallier.

Tiens donc ?

Christian Mochon

Vous êtes un incompétent Monsieur, mais à ceci vous n’y pouvez probablement rien. Pour être compétent il faut un minimum d’intelligence et vous n’en avez pas.

Duallier.

Maintenant, ça suffit, vous sortez …

Christian Mochon

Non, Monsieur, je vais ajouter qu’il vous manque en plus l’intelligence du cœur, cette intelligence qui fait les grands patrons, cette sensibilité qui vous permet de comprendre qu’en face de vous ce sont des hommes qui vivent et qui vibrent, cette intelligence qui permet de se rendre compte que tous les hommes sont prêts à se battre pour leur patron, si celui-ci est juste, objectif, bon. Vous n’être ni juste, ni objectif, ni bon.

Colette Legras.

Quitte ce magasin, quitte ce bureau, tu n’as rien à faire à dire ici, désormais.

Christian Mochon

Il y a partout des hommes et des femmes qui s’usent au travail pour des salaires indécents comparés aux vôtres.

Duallier.

Encore une fois vous mélangez tout.

Christian Mochon

Non, je n’ai dans cette entreprise eu qu’un objectif, celui d’être à la hauteur de l’attente de mes clients, être juste et reconnaissant envers mon équipe et permettre à mon entreprise et à ma hiérarchie, donc à vous Monsieur, de réussir.

Duallier.

Arrêtez votre litanie, Mochon.

Colette Legras.

Tire-toi, Mochon.

Christian Mochon

Je pars tête haute, fier de ce que j’ai fait et conscient de laisser une équipe professionnelle et formée. Je ne suis pas le seul à partir dans ces conditions-là, vous n’avez eu aucune pitié envers nombre de mes collègues…

Duallier.

Rien à voir ! Vous mélangez tout…

Christian MochonIl y a la justice, bien sûr, mais plus que ça, il y a votre conscience.

Duallier.

Laissez, ma conscience, elle saura très bien s’en remettre.

Christian Mochon

Je n’en doute pas un instant.

Duallier.

Rassurez-vous, non !

Colette Legras.

Assez, maintenant tu pars.

Christian Mochon

Rassure-toi Colette, je vais partir… je vais aller rejoindre les listes de l’ANPE, les listes de ces hommes et de ces femmes qui après 10 ans, 20 ans, 30 ans sont jetés comme des kleenex. Et encore je ne suis pas le plus malheureux, je ferai autre chose, autrement…. combien sont-ils ceux qui savent qu’après l’Assedic, il n’y aura rien ?

Colette Legras.

Pour les fainéants, il y a le RMI.

Christian Mochon

En disant cela, vous dites tout. A vous entendre, c’est la solution ?

Duallier.

Je ne veux pas discuter. Vous êtes fou, Mochon.

Christian Mochon

Je sais Moche et con, à la fois, je suis Mochon le petit con.

Duallier.

Vous êtes viré, je ne vais pas en plus discuter avec vous.

Christian Mochon

Vous avez pris votre décision ?

Duallier.

Vous le savez bien. On suit la procédure… Mais vous n’avez pas de témoins. Alors…

Christian Mochon (Il lève et se retourne vers la sortie.)

C’est un meurtre professionnel, Monsieur. Pire, c’est un meurtre social. Vous auriez mieux fait de venir avec une arme.

Duallier (Il sort un pistolet et tire sur Christian Mochon qui s’effondre.)

Meurtre social ou professionnel ? Je l’ai eu ce petit con !

Christian Mochon (Il se relève)

Moi, je me relève, mais combien sont-ils qui ne se relèvent jamais.

FIN

Claude COGNARD Saint-Étienne (Loire) France- 22.01.2005.
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Publication avec autorisation amicale de l'auteur.

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